PRIX DE TRANSFERT / PRÊT D’UNE SOCIÉTÉ AU DÉTENTEUR DES PARTICIPATIONS

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Chère lectrice, cher lecteur,

Nous vous proposons d’aborder dans la présente newsletter un sujet qui soulève toujours plus d’attention de la part des autorités fiscales, à savoir les prix de transfert (partie 1). Nous en profiterons également pour faire un petit rappel concernant les prestations faites auprès des détenteurs de participations et les conditions du prêt simulé, rubrique pouvant être perçue comme étant un thème sous-jacent aux prix de transfert (partie 2).

1. Les prix de transfert

Selon la définition établie dans les principes de l’OCDE, les prix de transfert désignent « les prix et les conditions auxquels une entreprise transfère notamment des biens corporels, des actifs incorporels ou des services à une entreprise associée[1]».

En raison de l’application du principe de séparation par les autorités suisses, chaque société appartenant à un groupe est traitée comme un contribuable à part entière et reste imposée individuellement.

C’est pourquoi les prix de transfert doivent respecter le principe de pleine concurrence qui exige que les transactions faites entre sociétés associées suivent les mêmes conditions que celles appliquées entre des sociétés indépendantes. Un raisonnement identique s’applique pour les transactions faites entre une société et les détenteurs des participations (actionnaires et/ou personnes proches) ainsi qu’entre le siège principal et l’établissement stable (par exemple une succursale située dans un autre canton ou à l’étranger).

En cas de non-respect du principe de pleine concurrence, la société s’expose à des corrections de la part des différentes autorités fiscales dont la base juridique en droit interne suisse trouve son fondement aux articles 58 al. 1 LIFD, 24 al. 1 LHID et 4 al. 1 let. b LIA.

Dans le but de déterminer si une transaction reste conforme au principe de pleine concurrence, les autorités procèdent en général à une analyse de comparabilité qui consiste à comparer la transaction contrôlée (entre sociétés appartenant au même groupe ou entre la société et son actionnaire) avec celles effectuées sur le marché libre entre entreprises indépendantes.

Les caractéristiques suivantes sont prises en considération au cours de ladite analyse :

  • Les dispositions contractuelles de la transaction contrôlée ;
  • Les fonctions exercées par chacune des parties à la transaction, compte tenu des actifs utilisés et des risques supportés ;
  • Les caractéristiques du bien transféré ou des services rendus ;
  • Les circonstances économiques des parties et du marché sur lequel les parties exercent leurs activités ;
  • Les stratégies économiques poursuivies par les parties.

L’analyse de comparabilité se décompose en plusieurs étapes qui sont mentionnées ci-dessous à titre informatif.

  1. Détermination des années à inclure dans l’analyse
  2. Analyse d’ensemble des circonstances du contribuable
  3. Examen de la transaction contrôlée et choix de la partie testée (le plus souvent celle qui permet l’analyse fonctionnelle la moins complexe)
  4. Sélection de comparables internes (transactions entre la société contrôlée et un tiers) ou,
  5. Sélection de comparables externes
  6. Sélection de la méthode de prix de transfert la plus appropriée
  7. Identification de comparables potentiels
  8. Ajustement de comparabilité (dans le but de réduire l’écart entre la transaction comparable et une transaction potentiellement comparable)
  9. Détermination de la rémunération de pleine concurrence sous la forme d’un intervalle interquartile

Une des étapes les plus cruciales dans le cadre de l’analyse des prix de transfert est la sélection de la méthode du calcul de prix la plus appropriée en fonction des caractéristiques de la transaction examinée.

A ce titre, les principes de l’OCDE décomposent les méthodes de prix de transfert en deux catégories distinctes ; celle consistant à déterminer le prix d’une transaction (méthodes traditionnelles fondées sur les transactions) et celle qui examine les bénéfices réalisés (méthodes transactionnelles de bénéfices).

Nous renvoyons le lecteur à l’annexe 1 pour un descriptif plus complet des différentes méthodes.

Bien que les méthodes décrites dans les principes de l’OCDE doivent être appliquées en priorité, d’autres méthodes peuvent être appliquées lorsque les circonstances le justifient.

Les principes de l’OCDE contiennent également les considérations particulières ci-dessous qui s’appliquent en supplément des principes généraux :

  • Actifs incorporels : rémunération attribuée selon les fonctions exercées par chaque membre du groupe[2]
  • Services intra-groupes : une marge minimale de 5% peut être appliquée pour les services intra-groupe de faible valeur ajoutée sans nécessité de justification.
  • Transactions financières : recours à l’utilisation de la notification financière dans le contexte des transactions financières intra-groupe (prêts, gestion centralisée de la trésorerie, opérations de couverture, garanties financières, …)

Principales conséquences fiscales en cas de non-respect du principe de pleine concurrence

Dans le cas où les prix de transfert ne remplissent pas les conditions liées au principe de pleine concurrence, les autorités fiscales peuvent procéder à des corrections afin de rétablir la conformité des prix de transfert au principe de pleine concurrence.

Dans le cadre d’une structure de groupe, les impacts fiscaux peuvent être résumés comme suit :

  • Impôt sur le bénéfice (art. 58 alinéa 1 LIFD et art. 24 alinéa 1 LHID)

Correction du bénéfice imposable prenant la forme d’une distribution dissimulée de bénéfice ou d’un amortissement non justifié par l’usage commercial lors d’un apport de capital.

  • Impôt anticipé (art. 4 alinéa 1 lettre b LIA)

La rémunération jugée excessive versée à l’actionnaire ou à des proches est soumise à l’impôt anticipé.

  • Dans les relations intercantonales

Dans le cas d’une transaction entre sociétés sœurs situées dans des cantons différents, l’autorité fiscale d’un canton peut procéder à la correction du bénéfice de la société située sur son territoire (pour la société supportant la charge) sans pour autant que le canton de la société récipiendaire procède à une correction du bénéfice imposable. De ce fait le risque d’une double imposition n’est pas à exclure. Dans le cas où il s’agit d’un problème entre le siège d’une société et l’établissement stable situé dans un autre canton, une correction de la répartition intercantonale sera effectuée par les autorités fiscales.

  • Dans les relations internationales

L’ajustement du bénéfice effectué par l’autorité fiscale d’un pays dans lequel la société a son siège où un établissement stable peut générer une double imposition économique. Afin de remédier à ce problème, une procédure amiable peut être ouverte à la demande du contribuable auprès de l’autorité compétente[3].

A préciser que dans le cas où les participations des sociétés sont détenues dans la fortune privée, les corrections peuvent être considérées comme des prestations appréciables en argent et engendrer également des conséquences chez le détenteur des participations.

2. Prêt d’une société au détenteur des participations

En raison notamment de sa facilité d’application, il est fréquent qu’une société octroie un prêt à son actionnaire. Bien que le procédé reste permis, il est important de respecter certaines règles, dont notamment le fameux principe de pleine concurrence vu dans la partie précédente. En effet, les conditions du prêt ne doivent pas s’éloigner de celles qui auraient été accordées par un tiers indépendant de l’actionnaire (une banque par exemple). Dans le cas contraire, il subsiste le risque à ce que l’autorité fiscale considère le prêt comme « simulé » et, de facto, comme une distribution de dividende cachée dont les conséquences peuvent être les suivantes :

Au niveau de la société

  • Correction du bénéfice imposable si des intérêts sont calculés sur le prêt ou si ce dernier a été amorti en comptabilité (charge non justifiée par l’usage commercial)
  • Réduction du capital imposable à concurrence du montant du prêt simulé ; car ce dernier est considéré comme ayant été distribué au détenteur des participations.
  • Risque de devoir verser l’impôt anticipé à l’administration fiscale. L’impôt se monte à 35% du prêt considéré comme simulé et son remboursement sera analysé au cas par cas (sur un montant de kCHF 100 requalifié en prêt simulé, un montant d’impôt anticipé de kCHF 35 pourra être perçu par l’administration).

Au niveau du détenteur des participations

  • Le prêt considéré comme du dividende sera ajouté au revenu imposable en tant que rendement de la fortune mobilière. Si les conditions sont réunies, le rendement pourra bénéficier de l’imposition partielle (détention d’au moins 10% du capital social).
  • En cas de versement de l’impôt anticipé par la société, la récupération du montant n’est pas assurée.

La possibilité pour la société d’octroyer un prêt à son actionnaire n’est cependant pas une solution à exclure. Il est néanmoins nécessaire à ce que la démarche s’accompagne du respect d’un ensemble de critères variant généralement d’une situation à l’autre, dont un des éléments essentiels est l’intention exprimée par les parties au moment de la transaction et tout au long de l’existence du prêt. A cet égard, la formalisation des conditions au travers d’un contrat de prêt conforme revêt toute son importance.

Toutefois, la pratique et la jurisprudence n’ont pas déterminé un catalogue « figé » et exhaustif de conditions permettant de s’assurer du bon respect du principe de pleine concurrence et d’écarter une éventuelle requalification fiscale. La conclusion de l’autorité fiscale quant à la nature de la transaction retient généralement un ensemble de critères qui varient en fonction de la situation analysée.

La partie suivante énumère un certain nombre d’indices permettant de définir l’intention exprimée par les parties. A préciser que la liste ne se veut toutefois pas exhaustive.

Respect du principe de pleine concurrence (bonne pratique)

  • Existence d’un contrat écrit contenant un plan de remboursement et des conditions conformes au marché respectées durant la durée de vie du contrat
  • Les intérêts sont en adéquation avec le marché et sont payés régulièrement par l’actionnaire (se référer également à la lettre-circulaire publiée chaque année par l’administration fédérale qui contient des taux « safe harbour »)
  • L’octroi du prêt ne porte pas préjudice à la société et ne met pas en péril sa continuité d’exploitation
  • L’octroi de prêts est autorisé par le but de la société

Risque de requalification en prêt simulé

  • Prêt octroyé à des conditions qui s’écartent de celles qui prévaudraient entre tiers indépendants
  • Le montant du prêt peut être considéré comme inhabituel au regard de la structure du bilan et du total des actifs de la société
  • Le prêt est amorti dans la comptabilité de la société
  • Les intérêts calculés sur le prêt sont capitalisés
  • Le prêt est octroyé au bénéficiaire malgré la situation financière difficile de ce dernier. A noter que l’absence de garanties suffisantes est un facteur aggravant.

L’octroi d’un prêt par la société auprès du détenteur des participations est une possibilité dont la flexibilité reste très intéressante, il est toutefois important à ce que les modalités soient définies et appliquées avec vigilance et l’accompagnement de la part de professionnels est recommandé.

Nos collaborateurs se tiennent volontiers à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.

BRUNNER ET ASSOCIES SA

Société fiduciaire

Sources

Informations fiscales, Prix de transfert, AFC, janvier 2024 (https://www.estv.admin.ch/estv/fr/accueil/afc/systeme-fiscal-suisse/recueil-informations-fiscales.html)

Annexe 1

Les méthodes d’évaluation des prix [4]

1) Les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions

Ces méthodes consistent à prendre pour comparaison des transactions identiques entre des entreprises indépendantes. On parle de « prix comparable sur le marché libre ». Il existe 3 variantes de méthodes traditionnelles.

Méthodes traditionnelles fondées sur les transactionsDéfinition
Méthode du prix comparable sur le marché libre  Elle consiste à comparer le prix de transfert appliqué entre entreprises liées au prix du bien ou du service pratiqué entre un acheteur et un vendeur indépendants.   Cette méthode est la plus satisfaisante car elle est la plus directe et la plus fiable. Elle est adaptée aux entreprises qui commercialisent des marchandises couramment vendues sur le marché. Toutefois, elle est inadaptée aux transactions portant sur des produits très élaborés ou des biens incorporels tels les brevets.
Méthode du prix de revente  Elle consiste à partir d’un prix auquel un produit acheté à une entreprise liée est revendu à un client indépendant (prix de revente final hors groupe), et d’en déduire une marge brute de la société de distribution liée correspondant aux frais de vente et au bénéfice tenant compte des fonctions réalisées et des risques assumés. Cette méthode est adaptée aux opérations de commercialisation lorsque le distributeur n’est pas l’entrepreneur principal.
Méthode du coût majoré  Elle consiste à calculer le coût de revient du bien ou du service vendu et à y ajouter une marge bénéficiaire obtenue par comparaison interne ou externe à l’entreprise. Elle nécessite d’intégrer les coûts de production directs et indirects, mais également les frais de vente et les frais administratifs et généraux. Cette méthode est adaptée aux prestataires de services et aux sous-traitants en matière de production, notamment pour les produits semi-finis revendus à des entreprises liées.

2) Les méthodes transactionnelles fondées sur les bénéfices

Ces méthodes consistent à comparer non plus les prix, mais les bénéfices réalisés lors de transactions.

Il existe 2 variantes et celles-ci peuvent être appliquées lorsque les données fiables ne sont pas suffisantes pour appliquer les méthodes fondées sur les transactions.

Méthodes transactionnelles de bénéficesDéfinition
Méthode du partage de bénéfice  Elle consiste à calculer le résultat consolidé pour le groupe sur l’ensemble des opérations impliquant les entreprises liées et ensuite à partager ce bénéfice entre ces mêmes entreprises selon des critères pertinents. Cette méthode est adaptée lorsque les entreprises liées, parties à la transaction apportent des contributions à forte valeur ajoutée et unique ou lorsqu’il est difficile d’évaluer de manière fiable la contribution de chaque partie isolément.
Méthode transactionnelle de la marge nette  Elle consiste à déterminer la marge bénéficiaire nette réalisée par une entreprise dans le cadre d’une transaction intragroupe et à la comparer à celle qu’une entreprise indépendante réaliserait pour une transaction comparable. Cette méthode est adaptée à tous les biens corporels et incorporels ainsi qu’aux prestations de services.


[1] Principes de l’OCDE applicable en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales 2022

[2] Dans la pratique, les fonctions portent l’acronyme de DEMPE pour « Development, Enhancement, Maintenance, Protection, Exploitation »

[3] En Suisse, la demande doit être adressée auprès du Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SIF) sur la base de la Loi fédérale relative à l’exécution des conventions internationales dans le domaine fiscal (LECF)

[4] Source : https://www.legifiscal.fr/impots-entreprises/impot-benefices/methodes-fixation-prix-transfert.html